Un nouveau soir de service, un comme les autre, ou presque : on était mardi soir. Aussi, alors que l'horloge avait indiqué minuit, Katie avait pu troquer son petit tablier pour son harmonica avant d'aller s'installer sur le tabouret tronant au milieu de la scène, soufflant dans l'instrument jouant avec sa passion habituelle, ne captivant pas beaucoup les quelques clients toujours présents soit parce qu'ils étaient encore prit par leur jeu d'alcool de la soirée ou soit parce qu'ils tentaient de s'en remettre. Mais elle s'en moquait bien.

Elle joua ainsi pendant une demi-heure, une demi-heure dont elle savoura chaque seconde ; chaque note avant de descendre de scène, glissant le précieux instrument dans sa poche. Elle allait retourner chercher son tablier et reprendre son travail jusqu'à la fermeture quand un petit malin jugea intéressant de saisir son poignet pour la tourner contre lui.

"T'as du souffle dis-donc ma belle. Mais tu voudrais pas chanter maintenant pour voir ?"

Elle serra les dents, la fierté masculine était insupportable, mais avec les années, elle avait fini par s'y faire une raison et repoussa l'insolent, le gifla sans craindre pour son emploi.

"Si tu veux te donner en spectacle pauvre con, la prochaine fois tu n'auras qu'à monter sur scène. Tu pourras pas être plus ridicule. C'est pas un pauvre type comme toi qui pourra me faire hurler de plaisir."

Il y eu des rires dans l'assistance, elle se détournait pour sa part déjà, ayant mieux à faire.

Le Molly’s Beer était ce soir – comme bien des soirs – très animé. Dès que l’on dépassait des heures tardives, de plus en plus de jeunes s’y pressaient, et venaient occuper les bancs et les sièges éparpillés partout dans la salle. Les serveuses redoublaient d’efforts, et venaient déposer alcools et autres douceurs, dans l’espoir de récolter quelques pourboires supplémentaires. Rick était présent, non pas en tant que client mais comme gérant du club, pour le compte de son frère. Comme toujours, il se faisait discret, occupant une arrière-salle depuis laquelle il pouvait tout voir, et protéger « ses filles » comme il lui arrivait parfois de les appeler.

Lorsque vint le quart d’heure musical, Rick sortit de son antre d’un pas étonnamment léger pour quelqu’un de sa stature. Ses yeux noirs scrutaient la foule, calme. Et si quelques regards inquiets vinrent se poser sur lui, on l’oublia bientôt au profit de la petite Katie qui commença à divertir son public avec sa passion habituelle. Rick aimait quand s’était-elle qui jouait. L’entendre faire le détendait, l’empêchait de penser à ses vieux fantômes, aux cris et aux bombes… Alors lorsqu’elle eut terminé et qu’on vint commencer à lui causer des ennuis, le sang du vieux soldat ne fit qu’un tour. Ses poings se contractèrent tandis que la jeune femme se sortait de la situation avec son tact habituelle, prête à retourner au travail. Pourtant lui n’était pas prêt à laisser passer ça. Sa voix rauque et raillée tonna dans l’assemblée.

« Toi et tes potes feriez mieux de partir. ».

Le gars se redressait déjà, prêt à en découdre, mais la haute stature de Rick le dissuada de faire quelques actes impardonnables. Le brun le repoussa donc plus vivement vers la sortie, s'attirant quelques regards du personnel. En général le patron ne s'impliquait pas.

« Qu'est-ce que t'as pas compris ? Si tu dégages pas vite fait, tu vas te retrouver avec l'empreinte de mes rangers au cul. Et si je vous revois par ici, vous êtes morts. ».

Alors que Katie était déjà partie pour reprendre du service, ne se troublant plus de ce genre de situation depuis longtemps, elle se figea tout comme le reste de la salle à la voix dure et implacable de son patron qui avait scindé l'air. Elle se mordit la langue en comprenant ce qu'il se passait, n'osa rien dire, observant les jeune déguerpir rapidement, poltrons en plus de dépravés, le profil habituel pensa-t-elle.

Toutefois, ce n'était pas habituel que Rick Hanscom se mêle de tout cela, aussi, malgré ses poils qui s'étaient hérissés au son de sa voix dure, elle s'avança vers lui quand l'incident fut clos.

-Merci monsieur de votre intervention. Mais ce n'était je crois nullement nécessaire. C'est le genre d'incident fréquent... Vous le savez comme moi.

Alors pourquoi ? Pourquoi était-il intervenu ? Pourquoi s'en était-il mêlé ce soir là ? Qu'est-ce qui avait été inhabituel ? Le gars ne semblait pas armé, c'était pas le genre de dégonflé à se trimbaler avec un couteau quand il allait juste se bourrer la gueule avec ses potes... Du moins de ce qu'elle en avait vu.

A moins qu'il n'ait pas apprécié la manière dont elle s'en était tirée et préférait les chasser pour mieux pouvoir la sermonner ? Bref, cette situation était autrement plus embarrassante que de se faire allongée par un client sur une table du bar... Au moins n'y avait il pas l'haleine se dit elle en tentant de retenir un sourire.

Lorsque les gars déguerpirent, Rick se dit que sa mission était accomplie. Un étrange sentiment de satisfaction l’envahit, tandis que l’adrénaline pulsait encore dans ses veines. Il ne songea pas un seul instant qu’on se poserait des questions sur son attitude, sur sa façon d’agir, et Rick fit signe à tout le monde de continuer la fête d’un geste agacé avant de s’éloigner pour gagner le bar, commandant d’un geste un whisky sec. Il l’entendit s’approcher. Son oreille immédiatement attiré par ses pas légers, et son nez par cette délicate odeur de famille qu’elle dégageait. Il tourna son regard vers elle, le regard dur et froid.

« On ne vous demande pas de juger ce qui est nécessaire ou pas dans cet établissement. Juste de faire votre job. Ce que vous devriez faire immédiatement au lieu de poser des questions stupides Brown. »

Que pouvait-il dire d’autre ? Qu’il n’aimait pas savoir que quelqu’un puisse la toucher, lui manquer de respect ? Qu’il avait besoin de l’entendre jouer de temps à autre pour retrouver en lui le jeune homme qu’il était ? C’était parfaitement ridicule. Il ingurgita d’un geste le contenu de son verre, avant de se redresser, la dominant bien d’une tête. Il la fixa quelques secondes, tapotant frénétiquement son doigt contre son treillis sombre. Il allait avoir une nouvelle crise, il le savait. Il ne lui accorda pas un autre regard avant de commencer à se détourner pour regagner un endroit sûr.

Il fallait l'avouer, il l'impressionnait, sa haute stature, son air sévère, toutefois, et ce n'était pas la première fois, elle sentait chez lui une fragilité à laquelle elle était sensible. Une fragilité qui ne la laissait pas indifférente d'une certaine manière. C'était comme un oisillon égaré...

Elle observa le verre vide sur le comptoir, eu tôt fait de le débarrasser avant de lui emboiter le pas, elle savait qu'il allait à nouveau s'isoler et après ? Cette détresse était si grande en lui, comme un puits d'idées noires dans lequel il se laissait tomber, à des lieues sous terre.

Entrant dans le bureau avant qu'il n'ait le temps d'en fermer la porte, elle eut un moment d'hésitation, ce n'était pas un homme bavard, mais elle le savait depuis le temps amateur de musique, peut-être cela pourrait être une forme de langage. Brandissant son instrument, elle le porta à ses lèvres, fermant les yeux en jouant un air doux, soufflant avec calme sa mélodie. Et pourtant son coeur s'emballait, c'était bien une arme lourde qu'elle avait vu sur son bureau ? Cet éclat métallique qui avait attiré son regard ?

Elle tentait de se concentrer, mieux valait ne pas rouvrir les yeux.

Ses longues enjambées le conduisirent jusque son bureau, sa large main repoussant la porte derrière lui alors qu’il s’apprêtait à se rasseoir, cherchant ses cachets dans le tiroir. Rick détestait cette faiblesse qui le prenait aux moments les plus inattendus, dès qu’il commençait à perdre son habituel sang-froid. Cela pouvait lui faire perdre les pédales, lui brouillait les sens. Il la vit alors entrer, de ce pas déterminé qui lui était propre, allait sèchement lui dire de s’éclipser lorsqu’elle se mit à jouer de son instrument. Cet harmonica avec lequel elle semblait faire corps avec une telle sensibilité. Rick s’assit donc, continuant de fouiller dans ses tiroirs au milieu de ses tremblements, décochant bientôt une petite boîte en plastique orange dans lequel il rangeait son traitement. Les cachets furent bientôt avalés, et il en profita pour dissimuler son arme sous le bureau avant de basculer la tête en arrière et de clore son regard pour profiter de l’instant.

La musique l’apaisait. Cette fille l’apaisait. Et il n’avait pas de foutue explication à ce phénomène, qui pourtant lui faisait le plus grand bien. Ses tremblements se calmèrent peu à peu, les battements de son cœur revint à un rythme normal. Et bientôt il n’y eut plus que lui, Katie, et la musique pour les accompagner. Rick savait qu’il aurait dû la repousser. Lui faire comprendre que c’était son travail, qu’elle n’avait rien à foutre ici, sinon que d’arpenter la grande salle pour servir des clients et lui rapporter de l’argent. Mais il n’en trouva pas le courage.

Pendant plusieurs minutes, Katie ne fit que jouer, réfléchissant, tentant de se persuadé qu'elle n'avait fait qu'imaginer des choses, et pourtant c'était si évident...

Finalement, elle écarta ses lèvres de l'harmonica, rouvrit lentement les yeux pour le regarder, il semblait plus calme et l'arme avait disparu... Ce n'était pas une grosse différence en soit mais c'était suffisant pour elle, elle se détourna donc, prête à retourner au travail. Elle n'était pas venu dans cette pièce pour perdre du temps, seulement pour apaiser cette détresse qu'elle avait vue grandir dans son regard en l'espace de quelques minutes plus tôt.

Objectif atteint, il était temps de retourner à son service.

Rick avait les yeux mi-clos, la tête renversée en arrière. Chaque parcelle, chaque muscle de son corps s’était peu à peu détendu au contact de ces sons, de son souffle contre l’instrument, de cette mélodie qui lui semblait si aisé à sortir. Il soupira en entendant ses pas s’éloignés, presque précipité. Elle avait peur de lui. Peur. Etait-ce la seule qu’il réussirait désormais à inspirer ?

Il la laissa pourtant à retourner à son service, regagnant son observatoire en silence. La nuit n’était pas terminée, et il se surprendrait encore plusieurs fois à laisser vagabonder son regard sur la silhouette de la jeune femme. Rick savait qu’elle était avec quelqu’un, qu’elle semblait heureuse, qu’elle ne se risquerait pas avec un type qui avait une arme sur son bureau, ainsi que sur sa table de nuit. Un tueur. Et elle valait mieux que cela… Il appela bientôt pour un nouveau whisky.

Reprenant sa place dans le pub irlandais, elle avait reprit son plateau et son bloc note, crayonnant les commande et les portant ensuite à chaque table, efficace. Souvent, il semblait qu'elle était en effervescence, pétillante de joie de vivre.

Il n'y avait pour elle pas la place à la fatigue ou à la peine, et chaque minute à servir était une pièce de plus dans sa poche, les pourboires ne manquaient jamais pour récompenser son sourire éblouissant qui aurait illuminé n'importe quelle soirée. La soirée durant, les esprits s'échauffant et les verres se vidant, il y eut plusieurs remarques aguichantes pour elle comme pour ses collègues.

Face à cela, chacune avait sa propre réaction, certaines fuyaient, d'autres laissaient faire un peu plus, Katie elle chassait les mots d'une réplique acerbe. Elle n'était pas un coeur à prendre.

Quand on posa un verre de whisky pour le patron sur le bar elle le prit et le lui porta, frappant à la porte de son bureau, repensant à l'arme qu'elle avait vu sur le meuble principal de la pièce un peu plus tôt, retenant un frisson.

Rick était penché sur les comptes du bar. C'était lui qui gérait également la distribution des salaires, essayant d'occupé ses soirées loin de son frère autrement. Les maths était pour lui un moyen de se concentrer sur des choses concrètes, et stimulait cette intelligence que tous avaient mésestimée avant qu'il ne rendre dans le monde du crime. Il leva le nez en entendant que l'on frappait à la porte, ordonna que l'on rentre.

Evidemment, c'était elle. Il ne dit rien de plus, qu'hormis cet ordre prononcé de ce ton froid et sec de militaire, la regardant évoluer dans le bureau avec un oeil parfaitement clair, loin de la colère qu'il avait pu ressentir plus tôt ou de cette peur panique de faire une crise en plein milieu du bar.

"Merci." lâcha-t-il de manière laconique tout en se relevant pour la débarrasser du verre qu'elle tenait encore dans sa main. Etait-ce pour la remercier du verre ? Pour ce concert privé obtenu plus tôt ? Il l'ignorait.

Entrant dans le bureau prudemment, elle s'avança d'un pas calme vers lui, lui donnant son verre avec calme. Elle fut prendre surprise de l'entendre la remercier, plongea son regard dans le sien avant d'éclater d'un rire qui lui était si naturel.

-Comme si vous aviez besoin de me remercier !

Visiblement, la situation l'amusait, se faire remercier par le patron était d'une telle ironie... Elle se calma pourtant assez rapidement.

-Pardon... Je n'ai pas pu m'en empêcher.

Elle soupira, se mordit la langue, elle allait finir par vraiment se faire remercier si elle continuait à agir n'importe comment. Quoi que... Être remerciée par un homme en possession d'une telle arme à feu était-ce une si mauvaise chose ? Elle se mordit la langue. Il avait prit sa défense. Ce n'était pas pour la tuer ensuite.

Le verre de whisky désormais dans le creux de sa main, il fut soudainement surprit de l'entendre rire avec autant de liberté. Cela pu se lire dans le regard sombre du militaire. Qu'est-ce qu'il pouvait y avoir de drôle dans le fait de la remercier ? La vitesse avec laquelle elle se calma lui tira une bribe de sourire qui fit apparaître quelques traits qui semblaient avoir disparu de son visage :
des fossettes jaillirent dans ses joues, et il dévoila quelques dents bien alignées.

"Ne vous excusez pas... Je suis votre patron, pas un monstre."

Du moins pas tout à fait.
Rick se détourna pour aller se rasseoir en silence derrière son bureau,
la regarda tout en évitant de la détailler trop avant. Il trempa ses lèvres dans le whisky.

"Vous n'avez pas fini votre service ? Il me semblait que vous quittiez plus tôt ce soir."

Katie ne l'avait jamais vu sourire avant ce soir là et elle ne put s'empêcher de se dire que cela lui allait bien. Elle lui rendit son sourire avec calme, se détournant avec lui. Elle n'avait pas tout à fait atteint la porte quand elle l'entendit, se tourna vers l'horloge qui tronait dans la pièce.

-Oh en effet. Mais il y a tellement de monde ce soir que je n'ai pas fait attention. Tant pis pour moi !

Même alors qu'elle venait d'apprendre qu'elle avait travaillé comme une simple bénévole pendant deux heures, elle avait le sourire. De toutes manières, elle retrouverait son appartement vide, depuis un temps, son compagnon était de plus en plus absent, à croire qu'il entretenait quelque liaisons... Cela la terrifiait mais en l'absence de preuves elle ne pouvait rien dire, rien faire.

Si elle savait que l'absence de l'homme de sa vie était dû à son héroïsme face à des hommes comme celui qui se trouvait à quelques pas d'elle, elle en aurait été bien surprise.

Le militaire la regarda, le sourire de la belle était contagieux, et il dû réprimer un nouveau sourire tandis qu’elle écartait avec désinvolture ses heures supplémentaires. Rick la regarda avec sérieux, lui fit signe de s’approcher en agitant deux doigts, en sortant quelque chose de son tiroir. Le bloc-notes, et le stylo était bien moins dangereux que l’arme qu’elle avait pu voir tout à l’heure – même si Rick n’avait pas du tout conscience de cet état de fait.

« Combien de temps avez vous travaillé en plus de vos horaires habituels ? »

Il était hors de question qu’il la laisse partir sans obtenir le bénéfice de son dur labeur. Se faire draguer et peloter (parfois), à longueur de temps, n’avait rien d’aisé. Il avait retrouvé son sérieux. Ce flegme d’une froide efficacité qui le caractérisait.

« Et ne me dites pas que vous n’avez pas besoin de ce fric. Vous ne travaillez pas ici par plaisir, ni pour votre patron. »

Quand il lui avait fait signe de s'approcher, elle avait tout d'abord obéie, puis en le voyant fouiller dans son tiroir, elle avait eu un moment d'hésitation, se mordant la langue, esquissant un léger pas en arrière avant de reconnaître la blancheur du papier et le cliquetis du stylos. Elle soupira, allait protester et dire que c'était de sa faute, que ce n'était pas important quand il la coupa. Elle le considéra alors d'un autre oeil.

-Ça fait deux heures. Mais vous ne me devez rien.

De toute manière, elle aimait ce pub, son effervescence, sa vie. Y travailler était l'occasion pour elle d'y passer du temps avec une bonne excuse, c'était certain que ça n'aurait pas été Andrew qui l'y aurait emmené. Déjà, il préférait les restaurant 5 étoiles sans doute et les bars ordinaire que ce genre de lieu authentique mais surtout n'étant presque jamais là, il ne risquait pas d'être avec elle.

Rick gratta rapidement sur le papier, exécutant le calcul avant de sortir un carnet de chèque. Il écrivit le montant, le nom de la jeune femme, et signa rapidement avant de lui tendre.

« Tenez. Prenez-le, faites moi plaisir. »

C'était sa manière de la remercier, pour ce qu'elle avait fait pour lui. Pour cette chose dont il ne pouvait parler à quiconque et qu'elle parvenait à apaiser avec seulement quelques notes de sa musique, quelques secondes de sa présence, le son de sa voix...
Il attendit qu'elle prenne le chèque, prêt à le mettre dans le creux de sa main si elle le lui refusait.

« Et ensuite prenez un taxi pour rentrer chez vous. Les rues ne sont pas sûres la nuit. Surtout par les temps qui courent. »

Elle avait écarquillé les yeux en voyant qu'il lui faisait un chèque, une part d'elle lui disait de refuser mais elle le savait déterminé, puis ce ne serait pas un gros montant, qu'était deux heures ? Elle prit donc le chèque, n'osant pas en regarder le contenu en le remerciant vivement. avant de sourire en l'entendant, prendre un taxi ? Ca lui était encore jamais arrivé en trois ans... Elle sourit, agita le chèque qu'elle tenait toujours en main.

-C'est pour ça le chèque ? Pour que je paye le taxi ?

Elle rit doucement.

-Je vous assure que ce n'est pas nécessaire. Je rentre à pied et en métro tous les soirs depuis trois ans. Il m'est jamais rien arrivé.

Rick la regarda, lèvres closes d'abord en la voyant prendre toute cette situation avec autant de désinvolture. On approchait des trois heures du matin, c'était dangeureux, elle-même ne pouvait le nier.

- Je ne plaisantes pas. Les rues sont dangereuses. Et même s'il ne vous est rien arrivé en trois ans, ce n'est pas prudent. Votre petit-ami vous laisse rentrer toute seule comme ça ?

Il se redressa, chercha dans ses poches des billets. Si elle ne voulait pas payer un taxi, il lui donnerait la monnaie. Mais il se refusait à la savoir dehors, à la merci de sales types qui n'attendaient qu'une occasion pour sauter sur une jolie fille.

- Si vous savez besoin d'argent, je vous en donne. Prenez juste un taxi.

Ni une ni deux en le voyant fouiller ses poches Katie écarquilla les yeux et obtempéra :

-Parfait, parfait. Je prendrais un taxi. Inutile de me payer davantage.

Elle détestait se savoir redevable, c'était un sentiment étrange qui ne lui était pas habituel à elle qui avait le coeur dans la main. Elle lui sourit.

Pourtant il avait éveillé une question en elle. Andrew ne lui en avait jamais parlé, enfin si, une fois mais il avait fini par obtempérer et n'avait jamais plus rien dit. Aussi, elle considérait que tant que rien n'arrivait, il se moquait bien qu'elle rentre à pied, en taxi ou même en jet privé, quoi que ce serait probablement cette dernière supposition qui l'alarmerait le plus à la réflexion. Elle sourit.

-Bon bah, bonne nuit !

Elle se détourna en rangeant le chèque dans sa poche cette fois-ci. Toutefois, en sortant elle réalisa assez rapidement qu'elle était attendue, pinça les lèvres en sortant son téléphone, simulant un appel à une amie en pressant le pas... Contournant le bâtiment, il y avait l'entrée de service, elle ne l'empruntait jamais mais elle en connaissait l'emplacement. Que faire ?

Rick n’était pas de ces hommes qui appréciait qu’on lui refuse une faveur. Il fut donc satisfait en voyant la jeune femme empocher le chèque, et lui affirmer qu’elle irait prendre un taxi. Il n’eut guère le temps de répondre à son salut qu’elle s’éclipsait déjà. Le militaire se rassit donc, fermant les yeux en posant les talons sur le bois de son bureau. Le verre se porta de nouveau à ses lèvres, tandis qu’il écoutait les bruits extérieurs. Son pas lui semblait reconnaissable entre mille. Rick entendit la porte tourner sur ses gonds, se refermer, des respirations s’accélérer. Des couteaux jouer dans les poches. Chaque fibre de son corps se contracta, et il se redressa avec vigueur, tirant un masque d’un tiroir soigneusement fermé à clé.

Le soldat avait fait vite. Bientôt il n’y eut plus rien d’autre qu’une ombre dans la rue, suivant les quatre gars qui – eux-mêmes – avaient déjà emboîté le pas à la jolie brune.

« Viens par ici ma jolie ! Fais pas ta timide ! » Des rires gras suivirent bien vite ce bien maigre énoncé. Rick pinça les lèvres, positionnant soigneusement le poing américain autour de ses phalanges. C’est à ce moment que l’un des types se décida à agir, saisissant le bras de la jeune femme avant de la pousser contre le mur de l’établissement, violemment. « Arrête-toi salope ! ».

Il n’entendit pas le géant se glisser derrière lui dans un simple froissement de tissu, discret comme une ombre, efficace comme la mort. Son poing le frappa sur le côté, les os craquant sous le choc dans un étrange bruit sourd. Le type se plia en deux, tournant vers son agresseur deux yeux écarquillés de terreur. Il poussa un cri en voyant le masque à la tête de mort, tomba sur le dos en reculant vivement, tandis que de l’autre côté les trois autres gars sortaient les couteaux.

Tout se passa très vite. Rick agit avec une vitesse surhumaine, les os craquèrent, les cris se transformèrent bientôt en crachats ensanglantés, alors que bientôt les hommes quittaient la ruelle, plus morts que vifs. Celui qui avait revêtu le costume de Pestilence se redressa alors cette fois, se tourna vers la jeune femme, la respiration courte. Il la regarda, s’assurant d’un regard qu’elle n’avait rien, avant de lâcher avec sa voix transformée à l’aide d’un procédé technique simple – qui lui avait pourtant coûté la peau du cul.

« Vous n’avez rien ? »

Tout c'était passé si vite...

Entre le moment où elle s'était retrouvée plaquée contre un mur et le suivant où ses agresseurs disparaissaient en gémissant dans la nuit noire. Elle avait formé les yeux, incapable de bouger, figée alors qu'autour d'elle, l'instant s'écoulait, chaque seconde ponctué par un nouveau coup, une dents qui tombe sur le sol ou le son rauque d'une plainte étouffée. Finalement, le calme s'était fait, il ne restait que le son d'une respiration rapide, rendue légèrement sifflante par ce qu'elle comprit rapidement être un déformateur de voix. Elle osa alors seulement regarder son sauveur, se mordit la langue pour réprimer la peur qu'il lui inspirer. Sa carrure impressionnante et cette tête de mort sur le visage.

-Oui... Merci. Tout va bien...

Elle plissa les yeux en tentant de deviner les traits sous le masque, il lui rappelait son patron, si froid et pourtant bienveillant... Enfin quand on était pas un violeur aviné.

Son regard effrayé le brisa. Un reflet de ce que les autres pouvaient ressentir en le voyant ainsi vêtu. Rick inclina la tête, rangeant ses mains dans sa lourde veste noire. Le froid était tenace en cette période de l’année, et ses phalanges abîmées par les chocs donnés le faisait souffrir. Heureusement que son masque préservait en grande partie son identité. Il devrait prendre soin, le lendemain, de dissimuler ses plaies ou bien d’éviter de la croiser.

« Rentrez chez vous. Ou demander à quelqu’un de vous raccompagner. »

Rick lui tourna bientôt le dos, s’avançant à grands pas, laissant ses empreintes de rangers dans la neige avec son poids. Il était presque certain qu’elle ne risquait plus rien, ou en tout cas qu’elle serait trop effrayée pour tenter de faire quoique ce soit qui mettrait sa vie en danger.